Vis, meurs et deviens
Dans une société qui fait tout pour esquiver et flouter la mort, Jean-Luc Jeener la réhabilite. "La mort est faite pour tous. Elle est utile et même essentielle à tous", écrit-il dans un bref essai percutant et salutaire Pour en finir avec la mort. Il la pose devant nous comme, dans la tradition picturale des vanités, ces crânes offerts à la méditation. Est-ce là le dernier mot de notre destinée, la dernière image de notre humanité ?
Comme il est homme de théâtre, donc d'action et d'incarnation, il ne reste pas immobile devant cette sombre figure. Il l'aborde librement, dialogue avec elle, entre dans ses raisons, la provoque parfois, bref l'envisage et la dévisage sous ses plus diverses facettes : le suicide, l'euthanasie, la peine capitale, les grandes croyances, le transhumanisme, l'eschatologie... Il creuse ce paradoxe : d'un côté on passe son temps à fuir toute rencontre avec la mort. Rituels funéraires furtifs, hypertrophie des lois sécuritaires... De l'autre on la propage, on la publie, on revendique le droit de supprimer la vie. "Entre la mort considérée comme inacceptable et abominable, et la mort totalement banalisée, il y a à retrouver du sens et de l'intelligence. Remettre la mort à sa juste place." Comme "une chose grave et belle", qui accompagne la vie de sa basse continue, dans une harmonie mystérieuse.
Une plume flexible et sensible
"Pour que la mort soit source de vie, il faut qu'elle soit acceptée comme une évidence. Vivre chacun de ses jours comme s'il devait être le dernier devrait être une règle." Étonnamment peut-être, Jean-Luc Jeener donne en effet envie d'apprivoiser la mort, de s'en faire une amie. Il aime la liberté, la lucidité, la responsabilité. C'est ce qui rend sa plume si tonique, si flexible aussi, sensible à toutes les nuances de la crainte, de l'affliction, de l'espoir.
Commençons par bannir la peur, cette mauvaise comparse "plus destructrice que la mort" parce qu'elle fige les oppositions. La mort serait le contraire de la vie, point. Alors qu'elles ont partie liée tout au long de l'existence. On traverse des épreuves et des pertes qui sont des morts intimes, capables de rejaillir en vie. Mais, à l'inverse, on peut aussi, pour se préserver de la mort extérieure, se condamner à une mort intérieure, une vie sans souffle, sans risque, sans élan périlleux vers l'inconnu.
Qu'est-ce que ce fantasme d'immortalité qui hante la psyché contemporaine, cette prolongation indéfinie de la durée ? Est-ce vraiment ce que nous désirons ? Chrétien ardent, Jean-Luc Jeener montre un autre paysage, radicalement nouveau, la vie éternelle ancrée dans la vie terrestre. Comme celui qui s'est aventuré dans les taillis obscurs et a découvert une clairière éblouissante, il indique le passage aux amis.
Pour en finir avec la mort, de Jean-Luc Jeener, Éditions Atlande, 153 p., 15 eur.
Paru dans Le Figaro,7 mai 2019